© Laurent Bur

Le clown et le tout-petit

« Pourquoi aller vers le tout-petit ?
Parce que je le trouve grand, grand, tellement grand…
qu’il m’appelle dans mon travail d’artiste à aller rejoindre,
à approcher le plus que je peux cet endroit, cet espace encore plus grand que mes p’tites idées ».

 

Rencontrer le très jeune enfant et le clown dans les débuts de ma vie professionnelle a été si fort et fondateur dans mon ancrage, que nous marchons encore ensemble aujourd’hui.

La petite enfance, ce monde « de notre nature sauvage », m’a ouverte à d’autres perceptions, à une attention, une écoute plus sensible. J’ai vu les tout-petits des journées durant, créer comme ils respirent ; les artistes ne sont donc pas les seuls à être en création ?

Cette grande découverte m’a permis d’ouvrir en moi un espace inexploré avec beaucoup d’espoir, la vie à cet endroit m’a semblé plus palpitante, vivifiante, pleine d’ardeur… Il se passait quelque chose de bien mystérieux. Et le clown ? Je l’ai croisé en cours d’art dramatique. Là j’ai découvert un art singulier, qui faisait appel à des références inconnues pour moi. Au tout début, je n’en comprenais pas les enjeux. Tout semblait inversé, bousculé, transformé. De quoi le public riait-il ? Cela m’échappait. Ce fut une immense découverte, une terre vierge, mon Amérique…

Je ne me doutais pas encore de l’exigence de ce travail.

Se retrouver comme un poussin sortant de l’œuf, sous le regard de tous, jouer de ses maladresses, de ses travers, de ses faiblesses, de sa fragilité, en rire avec finesse… C’était si fort !

 

PARLER D’UN AILLEURS

 

Après mes premiers pas dans le monde professionnel, comment ne pas avoir envie de réunir le très jeune enfant et le clown ? Ils me semblaient être faits pour s’entendre. Ce vocabulaire commun : l’accident, la chute, l’inattendu, l’émerveillement… n’est-ce pas essentiel de renouer avec cet art dans un monde où la maîtrise, le savoir, la puissance, seraient devenus l’excellence ? Rire ensemble de notre condition si limitante. Cette union ressemble aux instants rares et denses de nos vies, cette rencontre fut pour moi l’accordage d’un instant présent ! Qui dure toujours !

Ce clown, débordant d’amour, terriblement en lien, ce personnage « im-poli » qui joue du miroir de nos humanités. Ce personnage qui nous aide à poétiser nos pensées, nos projets, nous ouvre les portes, pousse les murs, voit plus loin, plus grand, sans jamais oublier de se prendre les pieds dans le tapis…que la terre est basse. Il ne s’agit pas, bien entendu, de s’y perdre mais d’y plonger et d’en revenir éclaboussé d’un monde plus vaste. Tout un art que celui du clown.

Ne plus se prendre au sérieux, très sérieusement : créer une brèche, se surprendre, chercher à s’infiltrer dans la marge, entre les lignes, pour écrire une tout autre histoire.

L’art clownesque nous parle d’un ailleurs, de l’ultra-sensible, de la force de vie, d’un sérieux, qui n’appartient je crois qu’aux enfants et aux clowns, monde transpercé d’un regard sans filtre. Décrocher la lune ? Oui j’y cours… Monde de possibles, mais sortir sans ouvrir la porte… aïe ! Je recommence, dire oui encore, c’est possible, jeu de répétition, aller décrocher la lune sans voir plus loin que le bout de son nez, un beau programme de rires.

 

UNE QUÊTE DE SINCÉRITÉ

 

Perdre sa verticalité, je marche… combien de fois suis-je tombée avant ? Je ne savais pas qu’apprendre à tomber pouvait être une si belle résolution. Il faut du courage pour aller explorer la chute, cet espace du jeu clownesque, lieu d’exposition, car le clown n’existe pas sans le regard de l’autre, tout comme l’enfant qui ne grandit pas sans le regard, le lien à l’autre.

L’entrée en scène, la page blanche devient mon tout, mon axe… Je m’élance avec mon corps, mes émois, ma voix, ma présence, j’y vais toute entière, j’y suis à 200% et ensuite seulement, dans cette quête de sincérité, une pensée nouvelle s’organise… une autre parole arrive « ma poétique », tout palpite. Mais pour cela il me faut être d’une grande vigilance, et laisser de côté ce qui m’encombre habituellement, je suis regardée, J’APPARAÎS.

Qu’est-ce qui s’imprime, à travers ces regards échangés ? Se reconnaît-on ? Sommes-nous témoins des uns et des autres ? Je suis là je te vois, tu me vois, et toi aussi tu es là, je t’ai vu, tu m’as vu, nous nous reconnaissons comme auteurs de cette histoire.

Puissance du lien, je joue de maladresse pour te rappeler que toi aussi tu es maladroit, sous tes airs bien rangés. Surgissement des rires, puissance de notre condition humaine, ce sérieux n’était donc que façade. Soulagement, personne n’est dupe. La conversation de points d’interrogation sur pattes que nous sommes, peut commencer. Je t’attrape par les rires, tu me tiens, je te suis, nous marchons ensemble.

 

NEZ ROUGE OU PAS NEZ ROUGE ?

 

Le plus petit masque du monde disait Jacques Lecoq, une image galvaudée, qui ne sert pas toujours l’art clownesque dans sa rencontre avec les plus jeunes, et pourtant…

Il m’évoque beaucoup de tendresse ce petit masque, il éclaire le visage du clown, le dessine, il indique l’espace imaginaire, la différence, le code du « pour de faux », que nous pourrons recevoir pour de vrai, d’entrée de jeu. Il permet une distance immédiate avec l’espace de jeu, mais il peut aussi créer de l’étrangeté, il est source de beaucoup de malentendus.

J’ai eu de longues discussions avec des programmateurs, des professionnelles de la petite enfance, en ne parvenant que rarement à le défendre comme objet poétique, passeur d’imaginaire. Épuisée par ces refus d’apparence, parfois tintés de peurs irrationnelles, j’ai fait le choix au sein de ma compagnie, de quitter le nez rouge, l’imaginaire collectif est trop chargé de malentendus, nous ne pouvons lutter aujourd’hui contre les à-prioris, la bataille pour faire connaître cet art ne semble pas là. Nous jouons, avec et sans nez rouge, cela dépend de l’écriture de nos spectacles et de l’accueil fait à l’inattendu, à la fantaisie.

 

© Laurent Bur

 

ÊTRE NAÏF…

 

Lorsque l’enfant rencontre un clown, il grandit d’un coup, d’un seul ! Au regard de ce miroir, il met en jeu sa petite expérience, pratique. L’enfant rit de la maladresse du clown, si proche de son hier, de son quotidien… Le clown propose à l’enfant d’être le plus grand des deux. L’enfant s’amuse et s’offusque des bêtises du clown, il peut pour la première fois être à la place de celui qui transmet un savoir-faire, il devient conseiller, aidant, il partage avec joie sa petite expérience. C’est si rare pour ce tout-petit d’œuvrer pour l’autre. Il croise à cet instant un être plus naïf, plus maladroit que lui. Être naïf veut dire être naissant, c’est précisément à cet endroit-là que le clown et l’enfant habitent le même monde.

J’ai observé lors d’un spectacle trois enfants d’à peine deux ans, assis au premier rang se lever à chaque accident d’un clown ou maladresse et dire non, non, non, puis se rassoir : le jeu devenait de pouvoir dire NON entre copains haut et fort ! Et faire silence. Le Jeu naissait dans la salle, jubilation, grande joie de petits spectateurs. C’est pour de faux, mais cela nous parle, nous construit pour de vrai.

Un autre enfant dit en plein spectacle en parlant de l’interprète : « mais c’est une adulte ? » Cette question résonne encore, stupéfaction, découverte, comment l’interpréter ? Au jaillissement de cette question, les rires des adultes se sont déployés. Que nous raconte-t-elle et que nous racontent les rires ? Il y a bien des réponses…

Un autre jour, je quitte mon nez rouge à la fin de la représentation pour saluer et un jeune spectateur dit immédiatement : C’est qui ? Transmission d’un regard, d’une présence, d’un état, celui d’être avant de paraître.

 

RÉVEILLER SON CLOWN

 

En toute logique, ce fut ensuite le temps d’aller plus loin, celui de la transmission, du partage. Aller voir ce qu’éclaire la rencontre du clown et de l’enfant pour chacun, partir en recherche, et découvrir la singularité, la fantaisie de chaque stagiaire, chercher « son clown » le trouver et le réveiller.

Ces semaines de travail, au cœur de l’émerveillement, sont souvent ressources pour chacun, trouvailles d’outils inattendus que nous ne savions pas avoir à disposition. Notre quotidien dépend de l’endroit où nous posons notre regard, nous déplacer, explorer, une bien belle occasion d’apparaître autrement. Être la même personne mais animée d’une tout autre logique. Je suis toujours surprise d’accueillir un nombre de stagiaires en début de semaine et d’en quitter le double en fin de stage, les clowns prennent de la place dans le cœur de chacun.

Toutes ces rencontres faites au fil des ans, sont pour moi l’occasion de continuer d’écrire ce récit fondateur.

Aude Maury
Artiste clown, metteuse en scène,
Directrice artistique de la cie De-ci De-là

1- Jacques Lecoq : comédien, chorégraphe, metteur en scène. Pédagogue reconnu pour ses recherches sur le mime, le masque et le clown. http://www.ecole-jacqueslecoq.com

« Génie de Chaplin qui renverse la logique par le gag. La pensée ou l’image n’est plus examinée, elle fait trait de fulgurance, elle vous entre littéralement dans le corps. Et cette reddition est à la fois dangereuse et sidérante. C’est une arme contre tous les pouvoirs puisqu’à la force peut s’opposer le rire jusqu’à la fin, mais c’est aussi un point de résistance contre la pensée, qui l’oblige à s’incliner. Le rire vous prend à la gorge comme le sanglot, dont il est si proche, l’émotivité ici prend le pas sur l’examen pour passer outre la pensée, et d’ailleurs un trait d’esprit, d’une certaine manière ne s’explique pas. »
Éloge du risque, Anne Dufourmantelle, Éd. Rivage poche

Compagnie De-ci De-là

  • Aude Maury, metteuse en scène, responsable artistique de la compagnie
  • Amandine Brenier, comédienne et clown
  • Thierry Renard, violoncelliste
  • Marine Viennet, chanteuse et percussionniste corporelle
  • Florian Jacquemin, jongleur
  • Vincent Noclin, vidéaste-photographe,
  • Pierre Constantin, plasticien

 

Formation
L’art clownesque pour être au plus près des tout-petits

 

Spectacles en tournée

La compagnie fait partie du réseau d’Enfance et Musique

CieDe-ci De-là
2, place de l’Hôtel de ville, Mairie – 42410 Pélussin
Isabelle Trappo, chargée de production
07 76 18 29 35 – decidela.production@gmail.com
https://assodecidela.wixsite.com/asso

Territoires d’éveil n°27

Publication : Juin 2023
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