Lectures en pays lotois

Les énergies conjuguées des acteurs du département du Lot passent par un dialogue constant entre les partenaires. La CAF et le conseil général multiplient leurs efforts pour le livre et la lecture en milieu rural.

Grand site de la région Midi-Pyrénées, Cahors est également une ville d’art et d’histoire qui recèle des trésors du patrimoine. Au-delà du Pont Valentré, ses jardins remarquables se découvrent en un itinéraire de jardins secrets parsemés d’œuvres contemporaines qui côtoient une verdure inventive. Avec ses 20 000 habitants, Cahors est la plus grande ville du département du Lot, parsemé de villes moyennes de moins de 5 000 habitants, l’activité touristique et la vallée viticole du Lot constituant l’essentiel des ressources économiques. 20% des habitations sont des résidences secondaires, le département est rural : dans un tel contexte le travail de réseau est essentiel pour remédier à l’isolement et dynamiser le territoire, un véritable défi de revitalisation rurale est engagé!

LE DISPOSITIF

Le Lot a été l’un des trois départements pilote de l’opération Premières Pages, lancée en 2009 et reconduite depuis. Pour la branche famille de la CAF, l’action s’inscrit dans sa mission d’accompagnement à la parentalité. Avec 1 500 naissances par an environ, le projet est d’envergure. Élise Palus, directrice de la CAF précise les choix : « Dans une logique commune qui est celle de la convention d’objectifs et de gestion signée par la CNAF et l’État, chaque CAF a une certaine latitude d’actions. Il nous semble important de nous impliquer sur un territoire et de nous positionner par rapport aux allocataires en termes d’action sociale et culturelle. Nous ne souhaitons pas être perçus uniquement par le biais des prestations. Nous sommes également préoccupés par la dimension de la formation : améliorer la qualité de l’accueil passe par l’éveil culturel et des professionnels sensibilisés ».

« Des formations communes pour les personnels des bibliothèques, de la petite enfance et du social ont redonné confiance, motivé ou remotivé, donné plus d’assurance et de nouvelles idées… » note Gisèle Lavayssière, conseillère technique de la CAF, dans son bilan.

Cet engagement est partagé par le conseil général qui réalise un travail de fond afin de développer la lecture pour les tout-petits grâce notamment à son service dédié à la lecture publique et sous l’impulsion de la bibliothèque départementale de prêt. Chaque année, le conseil général consacre 18 000 euros aux acquisitions de livres de fiction pour les 0-6 ans.

La CAF copilote donc avec le conseil général une démarche expérimentale sur le territoire lotois. « L’opération Premières Pages s’inscrit pleinement dans les priorités d’une politique d’action sociale contribuant à favoriser la qualité du lien parental, susciter l’éveil culturel de l’enfant, accompagner les pères et mères dans leur fonction de parents » précise Élise Palus.

« L’opération est intéressante car elle renforce un partenariat indispensable avec le conseil général. Nous agissons en complémentarité et nous appuyons nos actions sur les compétences des professionnels du livre ; la bibliothèque départementale de prêt est un acteur majeur du projet. Ce partenariat est important notamment en milieu rural. Dans un contexte d’habitat isolé, l’accompagnement de la parentalité prend une résonance sociale d’autant plus forte.

Nous avons réussi à mettre en œuvre 40 points d’animation sur l’ensemble du département afin de sensibiliser les parents et faire naître l’intérêt des enfants. Ces lieux sont divers : tout d’abord les 18 Relais Assistantes Maternelles du département mais aussi des crèches, des bibliothèques, un centre social et une association d’insertion. Un comité de pilotage sélectionne les lieux et les animations. 18 bibliothèques participent également à Premières Pages».

Grâce à ce travail de terrain, la CAF touche directement 32% des familles destinataires de l’opération, ce qui est le meilleur taux des sept départements impliqués. Dans le bilan 2011, la question se pose: « Pourquoi certains parents ne sont-ils pas venus retirer l’album » ? Les réponses des familles qui ne sont pas venues sont variables : « Faute de temps, par oubli (malgré une relance par SMS ou message téléphonique) ». D’autres allocataires invoquent les difficultés de déplacement, pensent que c’est un lot gagné pour un jeu… La CAF examine attentivement ces réponses pour mettre en œuvre de nouveaux moyens de communication afin d’élargir le nombre de familles pouvant être concernées par la remise en mains propres et les actions d’accompagnement.

LE LIVRE AU CŒUR

DE NOUVEAUX PROJETS

La CAF du Lot mobilise tous ses réseaux de la petite enfance et du social pour que la distribution des lots soit accompagnée d’actions d’animation et de sensibilisation. Le bilan est positif car de nouveaux partenariats favorisent le décloisonnement des structures du social, de la petite enfance et du milieu culturel. Premières Pages est devenu un outil commun pour conforter l’accompagnement des parents. De nouveaux projets d’équipe ont vu le jour, particulièrement en direction des publics éloignés de la lecture. La mise en place de « bonnes pratiques »¹ autour des livres participe de l’amélioration qualitative des modes d’accueil des jeunes enfants et dynamise les équipes.

Avec Gisèle Lavayssière, qui connaît le terrain et y consacre une énergie communicative, la direction de la CAF suit la mobilisation des acteurs : 204 animations ont été organisées en une année pour près de 1 400 participants. La typologie des animations offre une palette d’actions variées : ateliers de lecture, création de CD comptines avec des artistes, visite et découverte des espaces dans les bibliothèques, création de tapis lecture, constitution de valises-livres, sensibilisation des professionnels, animation de salles d’attente en PMI… La désignation d’un référent Premières Pages par structure de la petite enfance ou du social renforce la cohérence pour les équipes des structures impliquées. Le décloisonnement entre les structures et les associations a enrichi les rencontres territoriales et responsabilisé les professionnels : des assistantes maternelles animant un espace lecture au sein d’un RAM, des enfants de CM2 venant raconter des histoires aux plus petits en crèche…

LES DISPOSITIFS

D’ACCOMPAGNEMENT

L’élargissement du public est également à l’œuvre : deux centres sociaux accompagnent de jeunes parents à partir d’ateliers conte, un CIAS (centre intercommunal d’action sociale) met en œuvre des animations à l’attention des gens du voyage, des ateliers ont aussi impliqué des grands-parents, initiative intergénérationnelle sur le thème de la lecture (avec création de tapis et de tabliers de lecture).

Les réunions de bilan sur les territoires sont synonymes de nouveaux projets comme l’enrichissement du fonds, la mise en place d’animations régulières, l’aménagement des espaces de lecture… L’opération Premières Pages joue un rôle de déclencheur dans la mise en œuvre de nouveaux projets.

Afin de sensibiliser les professionnels, la CAF du Lot a imaginé et préparé une journée de lancement composée de temps d’information et de formation pour une centaine de professionnels du département. Elise Palus réaffirme en ouverture « la nécessité de rencontre entre structures sociales et structures culturelles » et présente le dispositif en détails, soulignant « l’intérêt de l’album choisi Une chanson d’ours pour son foisonnement d’images et d’objets, l’intérêt pour les parents de s’approprier l’histoire avec des mots accessibles, une histoire à portée de tous ». Yves Périé, délégué à la lecture publique au conseil général souligne « la solidarité départementale, l’implication de la bibliothèque départementale de prêt et l’importance de la formation». Un nouveau pas a en effet été franchi avec la création d’un cycle de formation initiale pour les assistantes maternelles. 

Sophie Giraud, directrice des éditions Hélium a également été conviée afin de présenter l’ouvrage qui sera offert aux familles : « C’est le livre d’un papa ! C’est le livre d’un petit qui montre le chemin au père…C’est un livre qui montre le fonctionnement d’une famille et le père ne sait pas tout » . Sophie Giraud prend le temps de parler de l’objet livre, de l’exigence graphique et de l’objet marqué par son format, de commenter l’album et de revenir à l’importance de la lecture : « on doit trouver du plaisir à raconter, broder, changer l’histoire… On joue avec les mots, il y a des mots qui sonnent… L’enfant et l’adulte s’amusent, ensemble. Nous n’avons pas envie de faire des livres élitistes mais de beaux livres, pour tous ».

L’album est raconté par Chantal Boutes, lectrice, mis en animation par Coline Hateau qui a imaginé un ingénieux tapis, joli, ludique et poétique, facilement transportable pour tous les déplacements à venir dans le département. 

L’association Multi-Rencontres du Rionet présente le CD comptines réalisé avec Marie Bazin, plasticienne et Catherine Fontaine, musicienne. 

Marie Frapsauce, musicienne d’Enfance et Musique et spécialiste de la littérature enfantine, anime avec finesse l’après-midi en reprenant les premières notions musicales pertinentes pour une découverte des histoires, silences, refrains dans les textes, tensions, détentes, rimes… Pour la centaine de professionnels rassemblés, elle entame ensuite une animation vivante qui aborde différents thèmes comme l’importance de l’oralité pour le tout-petit (ou comment désacraliser le livre), la musicalité du récit, la voix de celui qui lit, lire devant d’autres adultes témoins… Cette communication est émaillée d’exemples musicaux, de sollicitations participatives qui rendent actives et vivantes ces notions fondamentales. Enfin, un espace livres permet à tous les participants de découvrir de nombreux ouvrages, d’échanger avec Maryvonne Gayard, libraire militante et conseil précieux pour la littérature jeunesse. La journée de lancement 2012 permet à tous les participants de repartir enrichis de ce fourmillement d’idées et d’expériences.

Les acteurs du département ont bien compris l’enjeu de la lecture en famille, l’ensemble des opérateurs mutualise compétence et force de conviction pour développer des pratiques culturelles et les rendre autonomes.

ν H.K.