Très Tôt Théâtre

Depuis 10 ans, la scène conventionnée Jeunes Publics multiplie les initiatives. Associée dès leur création aux Semaines de la petite enfance, elle allie avec bonheur programmation et actions d’accompagnement. 

Quimper, capitale de la Cornouaille. C’est dans cette ville d’art et d’histoire que l’association Très Tôt Théâtre a élu domicile depuis l’an 2000. Mais pas seulement !
La scène conventionnée Jeunes Publics rayonne dans tout le Finistère grâce à une action départementale soutenue. Bien au-delà des terres bretonnes, son travail de découvreur est reconnu par toute la profession grâce à l’audience nationale du festival Théâtre à tout âge : 10 jours d’activités foisonnantes dans 35 communes et un rendez-vous annuel à Quimper pour des programmateurs venus de tous les horizons.

UN ÉTAT D’ESPRIT

La scène conventionnée fonctionne sans lieu propre, cette forme de nomadisme lui permet d’investir les salles de spectacles et tous les lieux du département (à ce jour 47 structures impliquées) susceptibles d’épouser une politique offensive de diffusion de spectacles pour le jeune et le très jeune public. Très Tôt Théâtre programme, coordonne une offre sur un territoire, travaille avec un vaste réseau de salles, reste à l’écoute des demandes des enseignants, met en contact les usagers, investit les réseaux de proximité. 

Bernard Le Noac’h, capitaine enthousiaste de cette aventure, souligne que « l’objectif de l’association est de construire une égalité pour aller au spectacle. On gagne du terrain, famille par famille. » Attaché au cœur de ville avec par exemple un projet chansons qui réunit 10 chœurs, Bernard Le Noac’h est tout aussi investi dans sa mission départementale : « Nous avons une mission d’accompagnement. Bien entendu notre objectif est de mettre en œuvre une programmation de qualité, avec une prise de risque pour faire découvrir de nouvelles compagnies. Nous avons acquis cette connaissance au fil des années. À nous d’étendre la programmation dans de nombreuses communes, d’aller vers le public, d’être force de proposition. »

Très Tôt Théâtre situe son action dans un aménagement culturel du territoire. La programmation annuelle et ses deux temps forts, le festival et les Semaines de la petite enfance, permettent à des publics éloignés et à des communes disposant de moyens limités de profiter d’une offre artistique exigeante. « Sans la mise en réseau et la répartition des frais de production, nous ne pourrions pas proposer 25 spectacles et quelques 170 représentations chaque année. Ce n’est pas un effet catalogue mais bien la volonté d’élargir le public, de faire en sorte que les familles et les enseignants se sentent concernés. Par ailleurs les deux temps forts nous donnent une meilleure visibilité ». Comme le mentionnait Claude Paréja, ancien programmateur et spécialiste du jeune public en France : « programmer pour le jeune spectateur, c’est participer à une aventure culturelle et sociale, c’est lutter contre l’exclusion culturelle de toutes les familles¹ ». Amélie du Payrat, nouvelle programmatrice de Très Tôt théâtre s’inscrit dans la même démarche d’ouverture.

DIFFUSION ET MÉDIATION

En Juin 2007, la CAF du Finistère sollicite Très Tôt Théâtre pour son expertise, l’année suivante est une période de préfiguration des Semaines de la petite enfance. Avec des fondamentaux de qualité/durée/ travail d’équipe, le lancement s’opère en 2009. 

« Il faut rester attentif à l’enthousiasme des gens de terrain, en particulier les professionnels de la petite enfance, et permettre de valoriser leurs métiers par le prisme d’une manifestation » souligne Bernard Le Noac’h. « Ce n’est pas seulement un festival, cela va bien au-delà : avec des ateliers, des rencontres, des débats… Les Semaines de la petite enfance deviennent un terreau très fertile pour mobiliser à la fois les professionnels et les familles. On touche un nouveau public. La médiation fait partie intégrante de notre projet, nous avons donc imaginé toutes sortes d’espaces d’échanges qui favoriseraient le décloisonnement des pratiques. Le spectacle reste au cœur d’un dispositif plus large qui ménage des temps spécifiques à chaque catégorie de public : familles et professionnels. Ce mouvement de décloisonnement est également valable pour les partenaires. La question est de faire tomber des barrières – administratives ou relationnelles – pour que le tout jeune spectateur avec ses accompagnateurs profite à plein d’une offre artistique de qualité. »

Décloisonner et diversifier l’offre qui peut accompagner un spectacle : parce que la médiation est au cœur du projet de Très Tôt Théâtre, les représentations sont assorties de propositions allant du sas d’accueil, aux ateliers, café des parents et toutes formes qui génèrent un mouvement attentif vers le public et les professionnels de la petite enfance. Et c’est ce qui fait l’originalité de ce projet artistique, culturel et social. Accompagner le public fait partie intégrante de la mission de la scène conventionnée, l’opérateur culturel imagine des actions pour les familles peu habituées à fréquenter les salles de spectacles. Il s’agit là de conforter un public dans sa démarche de fréquentation des lieux culturels et de mettre en œuvre le terme tant utilisé de « conquête de nouveaux publics ». 

Lorsque Bernard Le Noac’h, un dimanche de mars s’inquiète du cheminement vers la Maison de l’Enfance en raison de travaux et part au devant des spectateurs pour les guider vers l’entrée, la mise en pratique des convictions affichées est claire : l’équipe de Très Tôt Théâtre est une équipe de terrain, qui n’hésite pas à s’impliquer à toutes les étapes de réalisation du projet, dans le moindre détail. Même attitude chez Gaëlle Mogentale et Elodie Roy : toutes deux chargées des actions avec les territoires, elles connaissent les routes du Finistère par cœur et partent sans cesse à la rencontre des acteurs locaux. Lorsque nous arrivons pour le spectacle Parapapel à la Maison de l’Enfance de Carhaix, il est évident que des liens se sont tissés dans la durée et dans une relation de confiance. La médiation est déclinée à toutes les étapes et les multiples projets proposés en sont l’illustration. Le pôle médiation a pris de l’ampleur donnant naissance à des parcours découverte, des ateliers, des jumelages… Et l’on rejoint ainsi ce qui a constitué l’un des éléments majeurs de la création de la scène conventionnée, son lien avec les valeurs de l’éducation populaire : « vendre des billets ne pose pas de problème majeur » précise Bernard le Noac’h, « nous voulons que les publics les moins captifs, issus des milieux les moins habitués au spectacle vivant, représentent une partie importante des billets vendus. On peut remplir une salle de quartier sensible en vendant tous les billets aux habitants, mais cela n’a aucun intérêt si l’action reste ponctuelle et sans accompagnement. Pour chaque festival, on garde par exemple cinq à sept cents billets qu’on vend par le biais d’associations caritatives, grâce à une initiative lancée par les pompiers de Quimper qui vont même chercher les spectateurs dans les quartiers pour les amener au spectacle en s’efforçant de désacraliser l’expérience² ».

Le travail de sensibilisation du public est donc extrêmement poussé, réfléchi en fonction des interlocuteurs. La même attention est accordée tant aux enseignants en recherche de projets qu’aux responsables culturels de communes pour lesquels sont organisées des journées de réflexion. Le maillage du territoire a un prix, celui de la patience, de l’investissement d’une équipe et de l’écoute des besoins de chacun. 

ET DEMAIN…

La scène conventionnée Jeunes Publics n’a donc pas hésité à se lancer dans l’aventure de la petite enfance. Après quatre éditions des Semaines de la petite enfance, il faut encore vaincre des craintes : peur que les enfants mettent la « pagaille » au spectacle, dépasser la grande fréquentation des groupes pour gagner encore du terrain auprès des familles, réfléchir à l’aménagement des lieux pour optimiser les conditions d’accueil (le sas d’accueil par exemple), augmenter le nombre des grands-parents qui commencent à venir… Les chantiers ne manquent pas et l’extension envisagée de la manifestation devrait accroître son rayonnement. 

Mais tout est encore fragile. En ces temps de crise, la culture peut sembler ne pas être l’urgence… Pourtant, les artistes répondent présents et trouvent là un terreau d’expression bienveillant. Les professionnels de la petite enfance se mobilisent pour aller plus loin et poursuivre le travail toute l’année. Le public est peu à peu apprivoisé, les parents peuvent profiter de moments précieux d’échange avec leur tout-petit. Dix sept communes se sont impliquées mais pourront-elles pérenniser et élargir le partenariat ? Les salles pleines, les ateliers investis, les rencontres avec les artistes riches de contenus devraient fournir autant de réponses positives au développement de l’initiative. Il semble difficile de faire machine arrière dans une entreprise humaine et artistique si enrichissante.

Car pour le tout-petit et sa famille, aller au spectacle, ça peut commencer Très Tôt…

ν H.K.