© Sidonie Rocher

Créer des espaces sensibles

Sidonie Rocher, artiste plasticienne, crée des univers pour être libre d’être un enfant : dessiner l’espace et articuler les temps, chercher leurs langages et habiter des mondes qui poussent.

 

Je crée des espaces sensibles dans lesquels j’accueille les tout-petits et toutes celles et ceux qui ont été enfants. Cette forme de création est arrivée dans ma démarche progressivement à la sortie des Beaux-Arts et après des voyages. J’y ai trouvé une liberté artistique extraordinaire – c’est infini de créer un espace – ainsi qu’une condition intransigeante de liberté du public. Je m’y suis plongée entièrement. 

Est-ce grandir dans un espace qui nous rend sensible à celui-ci ? Est-on sensible parce qu’il a un effet sur nous ou par l’empreinte qu’il prend dans notre vécu ? Je me demande comment les lieux réels de l’enfance deviennent des paysages intérieurs. Une question de liberté, de miroir, de réparation… L’enfance en fait une ressource mystérieuse. Quelle teinte, quelle profondeur et quelle puissance auront les espaces intérieurs des enfances en devenir ?

J’ai des souvenirs de pas dans les sillons des champs, c’est épais, gras, plein de creux et déstabilisant pour les bottes. C’est pourtant très solide dans ma mémoire. 

Quel sol vous émeut, vous ancre, vous fait vaciller de chagrin, de joie, de mélancolie ou de puissance ? Si ce n’est pas un sol, l’odeur et la force d’un vent, un horizon, la chaleur d’une roche, une tapisserie qui se décolle, le poids d’un jouet. 

De l’immensément grand à l’intensité du détail, un monde sensoriel s’ouvre. Je propose d’y entrer et de nourrir ces espaces pour les suivants. Ne pas tout aseptiser, ranger, vider mais laisser les lieux avoir une âme. Je crée à partir de la mémoire d’enfance, de sensations que j’associe à des problématiques écologiques et sociétales. Je transforme des lieux en espaces artistiques éphémères ou pérennes, des cocons dans les crèches, des cabanes-écoles, des installations immersives. Comme un corps, je les organise. Mes espaces doivent pouvoir s’enraciner, comprendre les habitants du lieu, les enjeux, les détails et les rêves. 

 

PRÉSERVER UN ÉTAT D’ENFANCE

 

Endroit précis et précieux, avant d’entrer. Je suis au sol avec les tout-petits. Pieds et mains libres. Je les accueille et ils me cueillent avec leur attention à chaque détail. J’ai un costume, des broches de bestioles cachées, des boîtes petites et lourdes, reliques de mes récoltes de saisons, graines de roses trémières et capucines, des brins de thym dans une poche. J’accueille le public comme un animal dans son terrier, il sera transformé par celles et ceux qui viennent l’habiter. Je suis garante de certaines règles pour préserver un état d’enfance du lieu. Je propose le sol aux adultes pour commencer. Les enfants entrent avec leur rythme qui ressemble à une texture. Le respect et le soin du temps s’imposent, sinon ça ne marche pas. Et le temps dure, une, deux heures, une sieste ou plus. Dans mes espaces, on peut tout toucher et déplacer. On peut aussi ne rien faire. On entend les ipomées pousser. Dans un coin, des mains fabriquent des nids, des tunnels, des pots, des bidouilles, des cachettes et des rivières de vase.

 

 

Je propose à l’adulte une place un peu décalée. Des passages pour rapetisser, accompagner l’enfant comme prétexte pour mettre les pieds dans l’herbe. L’obscurité est un bel outil pour rendre libre de ses mouvements. Un adulte se met à jouer sur le tas de terre dans une salle sombre. Une fumée fragile sort d’une cabane de brindilles, il n’y a pas que des tout-petits dedans. Accueillir l’adulte avec ses craintes, ses doutes, la peur de croiser une araignée, d’être nu-pieds… J’aime lui porter la même attention qu’aux tout-petits.

 

UN ÉCOSYSTÈME DU JEU 

 

Un espace me permet une liberté folle pour le déploiement des matières et de la pensée. Un organisme, un microcosme, un jardin. Un quelque part où ça pousse, où les idées grandissent en même temps que le vivant, où le tout-petit fait du plus grand. Matières, nature, objets récupérés et transformés, micro-spectacles, inventions minutieuses, dessins, mots. J’articule un monde plein de petits mondes où le jeu est un écosystème.

Des mousses, coquillages et chantepleures, des nids-miroirs dans de la vase et des flaques qui poussent. Des ritournelles, des chemins et des rituels. J’intègre des espaces-ateliers où se retrouver pour faire des choses de nos mains, avec l’aide d’un adulte ou en se débrouillant très bien tout seul.

Et puis il y a des espaces dans l’espace : entrer par un passage. Je mets des graines au creux des mains. Des pots en torchis sèchent, d’autres attendent les graines sur un tronc biscornu et plein de cachettes. Puis l’espace s’étend : une salle de bouture obscure et cachée, des gouttes à gouttes, de vieux objets détournés pour attraper l’eau ou faire du thé imaginaire, des passages voilés, un dôme de dentelles, un coin pour observer, un autre pour peindre avec de l’eau, un micro-spectacle dans un aquarium, du dedans, du dehors, ne plus savoir lequel est lequel. Faire des herbiers, des cerfs-volants ou des bateaux de plumes. Les théières attendent les racines sur une mare imaginaire. L’espace évolue dans le cheminement d’une pensée et du faire ensemble. Le souvenir des flaques pour faire pousser des flaques et prendre soin de nos sols, de nos ciels et que les enfants puissent encore sauter dedans. Entrer dehors, c’est entrer dans l’obscurité, savoir se cacher, explorer l’enfance et la forêt, tous les abris que nous offre le dehors. Faire des cabanes. 

Attendre les racines pour prendre soin de ce qui pousse, de la fragilité du vivant, de l’enfance et de l’imaginaire. Faire boutures, volcans de vase, jardins, histoires végétales. Sous le lit pour entrer dans une chambre d’enfant rêvée et mémorielle, marcher sur des livres, dormir sous le bureau et entendre des récits de quatre chambres d’enfance (installation sonore et immersive créée avec Gerry Quévreux).

 

DU FAMILIER VERS L’IMAGINAIRE

 

J’utilise des objets anciens, des matières, des trésors, on me donne aussi des objets remplis d’histoires. Je fais de la chirurgie de grenier comme on fouillerait une mémoire. J’y ajoute une pincée de décalage, l’agrémente de surprises. L’exigence ou l’excuse de la récupération, de ne rien acheter neuf. Utiliser du vieux, du récupérable, du fait main, réparer… Cet hommage aux matières prend une dimension écologique, politique et sensorielle. 

Les enfants s’emparent des objets et matières de cet environnement et en explorent tous les usages possibles. Mes récoltes prennent un coup de jeune ! Le décalage vient de l’enfance, c’est une traversée des temps, du grenier au bébé. Dans mes rêveries d’espaces, je convoque la sensorialité du souvenir, l’odeur de songes, la finesse d’instants précieux. Je pars d’éléments du quotidien et de récoltes banales. 

 

© Un neuf trois Soleil !

 

Puis je cherche à faire apparaître d’une manière poétique, une sensation familière mais enfouie ou rare. Je fabrique des tas de petits systèmes qui nous touchent, physiquement, que la matière atteigne le corps. Faire apparaître la rosée qui éclabousse dans le petit matin d’un bois avec une écorce, du lin, du papier mâché. Créer un goutte-à-goutte végétal qui pleure l’eau d’une éponge marine. Cacher une dinette de porcelaine de grand-mère dans un roman poussiéreux à la couverture dorée. S’inspirer des insectes pour créer des formes, dessiner un autre paysage, faire des cocons de lin, des méduses filantes avec une matière et un liant. Comme les guêpes font leur nid. Comment dessine-t-on le monde avec nos corps et ce qu’ils produisent dans l’espace ?

 

L’ENFANCE EST UN ESPACE

 

Les enfants bâtissent des imaginaires. Ce qui nous laisse souvent bouche bée. Créer si simplement du sens dans l’espace. À Saint-Germain-en-Laye, dans 10 structures petite enfance, je déploie un petit format du Souvenir des flaques. J’y accueille les groupes d’enfants et de professionnel.le.s. Après 20 minutes dans l’installation, je déplace des éléments pour créer un espace dans l’espace où j’invite les adultes à faire du torchis. On lâche les enfants du regard, l’écoute et l’attention restent éveillées. Ce temps est présenté comme un temps de formation au cœur de l’exploration libre. Les enfants nous « courent dans les pattes pendant que les adultes mettent la main à la pâte ». Marie est avec nous, elle nous raconte le Bénin, le souvenir du centre, les odeurs de terre qui sentent comme chez elle, les formes, elle pleure. Nos mémoires de deux terres, lointaines l’une de l’autre, se rejoignent là.

Des adultes n’osent pas, puis ne résistent plus à mettre les mains dans la patouille. Dans de petits volcans de torchis peints au Blanc de Meudon, nous semons des fleurs comestibles. Un instant je vois l’installation autour de nous devenir un désordre monstrueux, les enfants déplacent, renversent, tirent, poussent, empilent. Je laisse faire jusqu’au bout. Puis je vois un autre monde, les nids deviennent maisons de chevaux et chemins de forêt, la laine se fait tirer par une brouette imaginaire pour donner du foin aux bêtes, faire attention au train et à la flaque… tiens ma flaque est toujours là ! Elle devient aussi la mer, traversée de bateaux-souches. Les enfants circulent dans une multitude d’histoires. Ils ont refait des mondes dans mon jardin de matières. J’ai compris que j’aime inviter dans mes mondes, mais surtout, permettre aux enfants de tout changer.

Sidonie Rocher

Sidonie Rocher crée « Des espaces artistiques d’exploration libre et des spectacles pour les tout-petits et toutes celles et ceux qui ont été enfant ».

Sous les livres, Théâtre d’objets et de danse, création 2025 :
www.sidonierocher.com/exposition-petite-enfance/about-1
Un spectacle de Gerry Quévreux et Sidonie Rocher. Durée :  45’.
Spectacle en micro-déambulation dans les bibliothèques, médiathèques : pour les enfants d’aujourd’hui et d’hier, conseillé de 9 mois à 5 ans.

Et aussi …

  • Attendre les racines
  •  Le souvenir des flaques
  • Sous le lit

https://www.sidonierocher.com

Un carnet d’installations-jardin évolutives est également disponible sur demande : sidonierocher@ecomail.fr

Territoires d’éveil n°34

Publication : Nov 2025
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